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Salomon
INTERVIEW/12/18/2023

"Le mot clé c’est adaptabilité"

Franco Fogliato, CEO de Salomon
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Franco Fogliato est un dirigeant reconnu dans les domaines du sport et de l’outdoor. Après environ deux ans en tant que CEO de Salomon, il a démissionné en avril 2024 pour des raisons personnelles. Dans notre rubrique "Challenges of a CEO", l'Italien s'est exprimé fin 2023 sur sa vision du monde de l'outdoor, l'IA et la gestion de la chaîne de création de valeur. Il disait de lui-même : J’ai un parcours simple basé sur mon amour pour le sport et la montagne. Ce n’est pas un travail c'est une passion. Chez Salomon™, je me sens comme un enfant dans un magasin de jouets.

Quel est votre souvenir le plus fort dans votre parcours dans l’industrie du sport outdoor ?

J’ai beaucoup de souvenirs forts dans ma carrière. En 1998, quand je suis rentré chez North Face, qui était très peu connu, je sortais à peine de l'école de commerce. C'était un choix particulier, car habituellement lorsque que l’on faisait une business school c'était pour travailler dans une banque. Je sortais des sentiers battus et cela était spécial pour ma famille car j’allais à contre courant. Parfois on se retrouve dans des aventures imprévues, comme partir chez Billabong™, c’était une entreprise et un style de vie extraordinaires. Un appel de la montagne m’a ramené chez Columbia où j’ai vécu une expérience unique. Notamment aux Etats-Unis, après la covid, avec ma famille on pensait à rentrer en Europe, on n'était pas pressé. Sans y croire, j’ai même dit à mon épouse que la seule société pour qui je retournerai en Europe serait Salomon. Cinq mois après, je suis appelé pour rejoindre la marque comme CEO. C’était difficile de quitter Columbia et en tant que passionné de ultra trail et de ski, je ne pouvais pas refuser. Salomon était à la fois mon rêve et un compétiteur. Aujourd’hui, je retrouve chaque jour des équipes et athlètes très motivés et performants. Mon parcours et les moments forts sont ponctués de rencontres et d’histoires d’homme. L’humain est toujours au cœur. C’est un rêve, avec des responsabilités, qui devient réalité.

Comment voyez-vous l’interaction entre sport et développement durable ?

C’est un engagement de tous les jours pour limiter l’empreinte carbone et le réchauffement climatique.  Cette interaction est valable pour toutes les industries, pas seulement celle du sport. Mais elle est peut-être plus forte pour celle du sport qui touche au bien être des gens. Cela passe aussi par la formation des personnes qui travaillent pour l’entreprise, par une prise de conscience collective et interne de ce que nous pouvons faire différemment. En tant que leader de l’outdoor nous nous devons d’être à l’avant-garde. Dans l'industrie, il y a dix ou quinze ans, on a pris conscience que de pratiquer un sport et d’aller à l'extérieur rendait les gens meilleurs, ce rôle social est devenu aussi un rôle sociétal. Ce n’est plus une stratégie, c’est une façon de vivre. Le sport est un moteur du développement durable et l'idée de consommer moins est encore à définir car on est au moment du calcul des impacts réels. Cela dépasse le cadre individuel et nous avons besoin de matériaux, d’innovation et d'investissement. L’objectif est de s’adapter et de limiter la hausse de température. J’ai récemment lu qu’investir 3% de produit intérieur brut global dans de nouvelles technologies était un premier objectif pour de sérieux investissements.

“J’adore essayer notre matériel à l’heure du déjeuner, courir avec nos nouvelles chaussures, tester nos ski le week-end…Avec la proximité des montagnes et la passion des équipes, la contribution est très visible. C’est important de faire sortir les gens du bureau.” 
Franco Fogliato

Ce que j’observe avec nos parties prenantes, pour réfléchir à comment faire grandir la marque; c’est que certains vont consommer moins et d'autres de façons différentes. En même temps, il y a beaucoup de gens à convaincre à pratiquer un sport de plein air. Nos chaussures peuvent parcourir 70 km, il est temps d'oublier la voiture et d’aller courir dans la nature. Le coureur François d’Haene, qui est un de nos ambassadeurs ultra trail dit: “ aujourd'hui la prise de conscience est là et il faut accélérer en tant que leader de l’industrie”. Mener et changer par l’exemple. Je suis très positif, car le plus grand talent de l’humain ce n'est pas d'être fort mais c’est d'être adaptable. On le voit face au glacier. Depuis trois ans, le développement durable est plus fort que ces dix dernières années.

Quelles tendances et défis voyez-vous pour l’industrie du plein air ?

Ce n'est pas une bataille entre marques ou entreprises. Ensemble on doit faire bouger les choses. Notre devoir est de créer les conditions pour y arriver, de pousser l’innovation auprès des partenaires et des fournisseurs. Dès que la demande sera entièrement dirigée dans cette direction, on devrait tous y aller. Tous les jours, j’entends les investisseurs qui déclarent que le profit doit être lié à des projets qui rendent le monde durable. Cette conscience environnementale me rassure. On a passé un cap et on se pose plus la question d’y aller ou pas. On doit maintenant pousser les frontières avec à la base l’innovation, les matériaux et les produits. Et avec un cycle de vie de produits différent.

Quelles sont les différences majeures entre les marques américaines et européennes ?

“Les mix de culture c’est l’histoire de ma carrière ! Les différences majeures, sont le côté ultra optimiste des américains et le côté pessimiste et plus traditionnel des européens. Quand je pose des questions à mes équipes, en Europe on me répond  non c'est pas possible puis on y arrive. Alors que souvent dans la culture anglo-saxonne, on me dit qu’on peut le faire et parfois c’est difficile à réaliser. Je rêve d’un mix des deux. Le marché se concentre pour devenir plus global, les entreprises moyennes vont devenir plus grandes. Certaines vont avoir plus de difficulté. Et il existe un marché pour les marques de niche qui vont continuer de grandir. Elles vont pousser les limites de l’innovation et créer des niches de marché. Chez Salomon, on a commencé par Salomon 1.0 marque d'Équipement de sport d’hiver, puis Salomon 2.0 développement de la chaussure et des vêtements et enfin Salomon 3.0 La marque réunifiée et globale de Mountain Sports.

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Comment Salomon a-t-il réussi à être aussi pérenne aussi longtemps dans le secteur ?

Le mot clé c’est adaptabilité. On est fière d'être un moteur du sport outdoor européen qui a su s’imposer dans certaines régions du monde. Aujourd’hui, il y a à Annecy au siège, une vingtaine de cultures différentes. Tout le monde à une forte culture de la montagne, ce sont des équipes passionnées qui ont su protéger l’entreprise à différents moment de la vie de la marque. Notre objectif est plus qu’une tâche ou des chiffres. C’est une passion produit et de la montagne. Salomon est une entreprise d’esprit familial avec une présence et des valeurs ancrées dans la communauté locale, c’est la force de la marque. Les équipes maintiennent ça. On a récemment fêté les quarante ans de longévité d’un collaborateur et un des dirigeants actuels a commencé comme stagiaire, c’est ça qui fait la pérennité de la marque.

En tant que marque ayant décidé d’investir dans l’innovation et la fabrication locale, quels sont les principaux atouts de cette stratégie ?

Cela se traduit de façon différente pour répondre à des problématiques variées. Diversification, proximité de production avec les consommateurs, rapatriement d’une partie de la fabrication près de lieux de consommation, sont des axes importants sur lesquels nous travaillons. Comme le montre le partenariat avec Chamatex™avec qui nous partageons les mêmes valeurs. C'est un long voyage qui va être difficile. Trouver les talents et les compétences nécessaires est complexe. Notre rôle est de repousser les frontières avec agilité et réactivité. Je suis confiant car chez Salomon l’innovation fait partie de notre histoire et de notre ADN, ce qui nous a permis de constamment nous réinventer. Désormais un de nos challenges majeurs est de nous projeter dans un futur responsable qui réconcilie performance et développement durable. C’est un axe-clé de notre stratégie RSE ‘Change our Tomorrow 2030’. Le développement durable passe impérativement par plus de collaboration et d’action collective, c’est pour cela que nous travaillons étroitement avec nos équipes, nos athlètes, nos partenaires et fournisseurs dans le monde entier pour inventer les solutions de demain, comme le recyclage chimique haute performance avec Carbios.

Que pensez-vous de l'IA pour faciliter l'écoconception, la traçabilité et donc la circularité ?

On est au début, on apprend au travers les développements produit et le marketing. Cette capacité d’interaction et d’utilisation des données pour les traduire dans une activité, c’est un exemple de la vitesse du monde. Le potentiel de l’IA est à explorer pour développer la traçabilité à l’échelle et rapidement, en phase avec nos besoins de conformité réglementaire. Mais aussi pour rester compétitifs auprès de nos consommateurs et clients B2B qui nous demandent de plus en plus de transparence sur l’origine de nos produits, leurs certifications, etc.. Cette traçabilité est aussi un important moteur de l’écoconception et de la circularité de nos futures gammes. Elle nous renseigne de manière détaillée sur les cycles de vie des produits. L’IA ouvre d’énormes opportunités et elle peut et pourra certainement faciliter et accélérer beaucoup de processus comme le design ou nous faisons déjà appel à cette technologie. Mais je pense que cela doit rester compatible avec le processus traditionnel. L’IA ne pourra jamais remplacer un François d’Haene qui teste nos produits sur 1000km. Je suis attaché au test réel des produits. On y est engagé dans le design et il existe des opportunités à venir. D’autre part, nous avons la chance, en particulier en Europe, que l’industrie dans son ensemble soit accompagnée vers plus de traçabilité, d’éco-conception et de circularité. La réglementation Green Deal par exemple, va dans des directions plus fortes et ambitieuses.

Avec la chaussure Index 02 vous êtes allé très loin dans le recyclage et la circularité. Quels sont vos projets autour de la circularité 03 ?

Lorsque nous avons créé le concept de l’Index.01 en 2019, nous voulions poser une vision très forte, un changement de paradigme dans l’industrie du running. La première chaussure de running entièrement recyclable en une chaussure de ski alpin (la MTN Summit Pure de touring), en boucle fermée. Cette vision s’appuie sur les principes de la Fondation Ellen MacArthur : Made from Safe & Renewable Materials, Used more, made to be made again. Nous avons prouvé que cela était possible, et aussi découvert de nombreux challenges et opportunités tout le long du chemin. Ce sont les axes de développement de notre stratégie circulaire pour les prochaines années. L’Index.02 sortie début 2023 est la petite sœur de l’Index.01. Elle est plus légère, apporte une performance accrue et un design plus consensuel, nous la lançons aussi avec de plus gros volumes pour tester le passage à l’échelle.

Nos challenges et opportunités sur la circularité sont de développer encore plus la collaboration interne chez Salomon. Le projet Index est un moteur extrêmement puissant et positif d’innovation commune pour nos équipes. Ensuite nous souhaitons mieux comprendre les comportements de nos pratiquants pour ‘fermer la boucle’ et assurer un retour en masse des chaussures, pour avoir un impact réel de recyclage. Puis nous voulons comprendre notre place et responsabilité dans les futurs écosystèmes de circularité. La circularité va profondément transformer nos chaînes de valeurs, autour d’un écosystème très riche et complexe d’acteurs, comme les équipementiers, les distributeurs, les logisticiens, les recycleurs, les fournisseurs de matières. Nous ne sommes qu’au tout début d’une aventure passionnante.

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Comment voyez-vous le développement de Salomon d’ici 2030 ?

Notre objectif est de continuer à définir les contours du sport et des produits de montagne, comme on le fait depuis 70 ans. Je souhaite vraiment travailler à trouver de nouvelles idées tout en maintenant le sourire de nos équipes. Lorsqu'ils sont contents de travailler sur des produits extraordinaires, de collaborer avec les athlètes, tout le monde est plus heureux dans l’entreprise. Cela rejoint ma responsabilité sociale et sociétale. On est fière de ce que l’on fait et on sent la pression du marché. Mais dès que l’on sort pour tester nos produits, tout le monde devient meilleur dans sa tâche. Être astucieux et force de proposition pour faire sortir les gens de chez eux et pratiquer un sport dans la nature est mon deuxième enjeu. Pour cela, l'innovation est notre base et nous nous en servons pour améliorer la qualité de vie des produits et des usagers. Nous restons focalisés autour des notions d’équité et d’inclusion pour rendre ces innovations plus accessibles. On observe les progrès du monde avec une vision très occidentale. La pratique du sport est limitée dans le monde et il y a beaucoup de choses à faire pour faire évoluer ce point. En particulier sur l’impact du sport nature qui rend la vie meilleure.

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